Témoignage: Violences Policières, un point de bascule a été franchi.

Je tiens à préciser que dans cet article j'ai tenté de retranscrire tout ce que j'ai vu, entendu ou ressenti. Ce texte contient donc un seul et unique point de vue, le mien.
Le 23
mars 2023 à Tulle, était prévue une manifestation déclarée dont le
parcours devait s'achever à la préfecture du département de la Corrèze.
Il y en avait eu de nombreuses précédemment et toutes s'étaient
déroulées sans aucun incident. Le 23 au matin, les deux lycées de Tulle
avaient été bloqués par les organisations de jeunesse locales (MNL, JC
et VL) ce qui a eu comme effet d'amener beaucoup plus de jeunes que
d'ordinaire à la manifestation.
Le début de la manifestation
s'est déroulé exactement comme prévu. De mon côté je tenais la banderole
de l'intersyndicale avec les référents de celle-ci, j'étais donc à
l'écart du groupe de lycéens qui faisaient partie du cortège. Vers le
milieu du parcours, le cortège de jeunesse s'est détaché du reste de la
manifestation, dans le but de rejoindre le point d'arrivée un peu plus
rapidement. Comme cela ne faisait pas partie du parcours nous avons
hésité à les rejoindre et demandé à un policier chargé de la circulation
ce qu'il était préférable que l'on fasse. Celui-ci nous a répondu que
nous pouvions faire comme nous le désirions, nous avons donc pris la
décision de continuer en suivant le parcours initialement prévu dans le
but de bloquer le plus possible la ville. Arrivés à côté de la
préfecture vers 12H30, nous avons vu le groupe de jeunes, collé à la
ligne de policier.ère.s en tenue anti-émeutes. Une manifestante CGT nous
a tout de suite annoncé que des jeunes se faisaient gazer. Nous nous
sommes donc dépêchés de les rejoindre et nous nous sommes glissés
entre eux et les policiers, de dos. Un homme à côté faisait
un peu le con avec sa bière mais rien de grave ou de provocateur au
point de déclencher ce qu'il s'est passé. Les forces de l'ordre nous
bousculaient de plus en plus, j'ai voulu attraper mon téléphone pour
filmer mais quand je me suis retournée j'ai reçu le jet d'une bombe
lacrymogène au poivre dans le visage. Je suis sûre que le policier qui a
fait cela n'a jamais alerté sur ce qu'il allait faire et qu'il se
trouvait à moins d'un mètre de moi. J'ai hurlé de douleur et le
manifestant qui tenait une bière m'a mise au sol pour me protéger. On
m'a tout de suite mis de l'eau sur le visage et amenée vers mon père qui
se trouvait lui aussi dans le cortège. Heureusement pour moi j'en avais
juste reçu sur ma peau, mes vêtements et dans les yeux, je n'avais donc
pas de difficulté à respirer comme se fut le cas pour d'autres
camarades. Mon père à hurlé « Putain, ils gazent des gamins de 17 ans !»
et il me semble que cela a vraiment commencé à dégénérer à partir de
là. Je suis rentrée chez moi avec mon père (je n'habite vraiment pas
loin) pour me laver les yeux et prendre un masque de plongée avant de
ressortir. Je ne ressentais presque plus la brûlure après 15-20 minutes
et j'ai alerté les autres lycéens. Les policiers étaient de
plus en plus agités et les manifestants aussi. J'ai trouvé deux
camarades dans la même situation que moi et on nous a conseillé d'aller à
l'hôpital afin de constater notre état, pour porter plainte. Nous avons
reçu des soins par une infirmière, entre temps deux autres jeunes nous
avaient rejoint, nous étions donc cinq à avoir été sévèrement gazées. Après
nous avoir nettoyé le visage l'infirmière nous a laissé partir sans que
nous ayons vu un docteur. Je suis retournée à l'accueil pour
demander une attestation de soin mais on m'a dit que le docteur ne
voulais pas nous voir. J'ai insisté en disant que j'en avais besoin pour
porter plainte mais on m'a dit d'aller faire cela chez mon médecin
généraliste. Quand je suis sortie de l'hôpital, la manifestation avait
été dispersée. J'ai rejoint des camarades qui m'ont expliqué que tout le
monde avait été gazé et que quelques coups de tonfa (matraque en caoutchouc) avaient été
distribués mais pas sur les jeunes.Une fille qui était aux urgences avec moi avait toujours la gorge qui grattait une demi heure après l'attaque et un camarade qui a été saisi au bras par un policier a maintenant un bleu. Tout le monde a eu extrêmement peur, cela ne s'était jamais produit à Tulle lors d'une manifestation et personne ne pensait que cela pourrait se produire un jour. Au total c'est une trentaine de lycéens à avoir été gazés sans sommation dont cinq sévèrement. Un camarade s'est fait emmener au commissariat et intimider par 6 policiers qui l'ont traité de « fils de pute ». Des adultes ont été touchés également mais nous pensons que si les forces de l'ordre ont gazé c'était car les jeunes constituaient une cible facile. De mon côté elles ont refusé de prendre ma plainte et m'ont dit d'écrire au procureur.
Bien sûr nous savons qui donne les ordres de tirer sur les manifestants et qui choisit de les appliquer et c'est pour cela que nous ne lâcherons rien. Cela ne nous a en rien découragé, cela ne fait qu'accentuer notre colère et nous, les jeunes, nous continuerons à nous battre, jusqu'à les faire reculer.
Céleste Guillot.
