Front contre Front - Édito

06/07/2024
Feu d'artifice place de la république le 7 juillet
Feu d'artifice place de la république le 7 juillet

L'histoire s'accélère. Depuis la dissolution du 9 juin, toutes les dynamiques politiques du paysage français ont été accélérées à l'extrême. Et non pas "bouleversées", comme on le dit souvent. Car en réalité, les choix déterminants accomplis par les divers acteurs politiques durant ces quelques semaines n'étaient en rien des bouleversements, mais plutôt des aboutissements logiques de toute une série de dynamiques déjà profondément ancrées. C'est la fin de beaucoup d'illusions. La victoire relative du NFP le 7 juillet en est une, car elle ouvre une période extraordinairement incertaine tout en offrant une respiration au pays qui a repoussé l'extrême droite.

Depuis le 7 juillet et l'Assemblée chaotique sortie des urnes, nous entrons dans une
nouvelle période: celle du Front contre Front.

Hégémonie de l'extrême droite

Ce qui ressort de cette séquence écoulée est avant tout la dynamique colossale sur laquelle s'appuie l'extrême droite. Depuis longtemps, son discours a pris une place croissante dans les médias. Ainsi, c'est à partir d'acteurs économiques déterminants comme Vincent Bolloré que la locomotive RN a pu diffuser avec de plus en plus d'aisance son propos de plus en plus policé. Assez logiquement, la parole dominante est devenue la parole des dominants, et c'est ainsi que le bloc bourgeois - selon l'expression des chercheurs B.Amable et S.Palombarini - s'est petit-à-petit désagrégé en partie pour rejoindre celui de l'extrême droite.

Grâce à ce dispositif de conquête de l'espace médiatique et politique, cette frange réactionnaire de la bourgeoisie a aussi réussi à agréger à elle une grande partie des classes populaires. C'est en ce sens que l'on peut toujours qualifier le projet du RN de fasciste, puisque dans la plus grande conformité avec l'idéologie fasciste, il cherche à conquérir le pouvoir via la constitution d'un bloc social hétérogène rassemblant bourgeoisie conservatrice et classe ouvrière, sur une base raciale. Dans ce contexte, l'offensive politique post-7 octobre a contribué à diffuser une islamophobie mainstream, qui, en instrumentalisant la montée de l'antisémitisme en France, a fait de l'extrême droite pro- Israélienne l'alliée naturelle des juifs contre les musulmans. Ce mouvement de polarisation s'est encore plus accéléré dans la campagne législative.

En définitive, les dernières bascules s'étant produites; à savoir le ralliement de l'appareil LR au RN ou le passage d'un grand nombre de secteurs à l'extrême droite (police, armée, etc); ne sont pas à lire comme des bouleversements ou des non-sens historiques mais bien comme la suite logique de cette dynamique d'hégémonie de l'extrême droite en France. C'est comme cela que le RN est passé, en seulement deux ans, de 4,2 à 10,6 millions de
voix au premier tour des législatives, écrasant tout sur son passage.

Fin de l'illusion macroniste

Avant le 9 juin, il existait pour la classe dominante le projet macroniste. Celui-ci a connu un succès en 2017 et 2022 grâce à la coalition entre bourgeoisie libérale de droite et de centre-gauche. Une solution précaire pour le bloc bourgeois. D'après J.Cagé et T.Piketty, le vote Macron en 2022 était en effet "le plus bourgeois de l'histoire". Cependant, le tournant autoritaire et raciste de Macron lui-même a mis à mal cette base sociale. Ainsi, alors que ce bloc centriste pesait grosso modo un quart de l'électorat, le "front républicain" qui lui permettait de remporter les seconds tours grâce à la peur du RN a été mis à mal. Puisque ce camp a lui-même normalisé le RN (pour se retrouver face à lui au second tour) et à lui-même mis en place des politiques inspirées par l'extrême droite (pour tenter en vain de la trianguler), il s'est en quelque sorte auto-saboté.

Prudence cependant: l’électorat Renaissance-LR pesait toujours un tiers des des voix au premier tour des législatives. Ces deux forces - largement compatibles idéologiquement - terminent respectivement à 168 et 46 sièges dans la nouvelle Assemblée, soit plus que le NFP seul. Cette survie électorale (grâce au report de voix de beaucoup d'électeurs de gauche au second tour) est donc non négligeable, mais la base sociale du bloc bourgeois s'est considérablement réduite, du fait de la paupérisation d'une partie des classes moyennes supérieures et de l'attraction à l'extrême droite de la bourgeoisie conservatrice. L'illusion du projet macroniste est morte, donc, mais pas son électorat. Celui-ci est amené à se diviser dans l'affrontement clair qui va avoir lieu entre les deux autres blocs. L'enjeu est donc de décrocher une part du bloc bourgeois de la bourgeoisie. C'est indispensable. Ce sont en quelque sorte les girondins de cette nouvelle époque !

Résurgence de la gauche

Dans tout ce chaos, la gauche a sans doute été la plus grande effacée du paysage jusqu'au 7 juillet. Si, dans la dernière décennie, certains événements comme les 22% de LFI à la présidentielle ou le mouvement social de 2023 ont brièvement réaffirmé sa force, et en son sein la prédominance de ce qu'on appelle la "gauche radicale", on aura fait mine qu'elle n'existait pas. Nous avions beau arriver premier avec la Nupes aux législatives de 2022, la mise en scène continuait à se faire entre RN et Renaissance. Les blocs bourgeois et d'extrême droite avaient trouvé un consensus pour se présenter comme l'unique opposition réciproque, alors qu'électoralement, la tripartition du paysage politique restait indéniable.

La période actuelle fait clairement apparaître que le seul chemin victorieux pour l'ensemble des forces de gauche est l'union, nonobstant les importants désaccords qui subsistent au sein de l'actuel nouveau Front populaire. Cependant, le résultat des législatives ne laissent pas de doute: la gauche unie ne parvient pas à dépasser un tiers de l'électorat et sa victoire en sièges s'est faite grâce au report de voix du "barrage républicain". Du point de vue de sa base sociale, le NFP a été bien davantage un "cartel des gauches" qu'un véritable "Front populaire".

En tant que telle, la gauche dominée par une force de rupture (puisque c'est ce qui reste souhaitable dans la perspective de transformation sociale qui est la nôtre, sans occulter les désaccords possibles avec LFI) est donc capable de faire véritablement obstacle au RN, lors d'un scrutin majoritaire. La preuve en est faite par cette victoire du 7 juillet. En voix, elle progresse de fait mais beaucoup moins vite que le RN.

La résurgence de la gauche post-Hollande est donc réelle, notamment dans la jeunesse lycéenne et étudiante et issue de l'immigration, ainsi que sa victoire est envisageable à moyen terme au prix d'un travail militant acharné. Pour l'instant, prudence: un gouvernement du NFP peut mettre en place quelques mesures de rupture par décrets, et doit être intraitable sur ce point. Cependant, la coalition ne peut gouverner seule à l'Assemblée. Il faudra donc voir si le RN peut censurer la gauche sur les retraites, ou si le centre peut faire de même sur une grande loi écologiste. Ce serait ironique. En attendant, la ligne doit être claire: aucune compromission, aucune trahison. Ceux qui s'y perdraient disparaitraient alors de la gauche pour toujours.

Faire émerger une force collectiviste par la base, seul rempart contre le RN

Toute cette mise en perspective politique étant faite, il faut replacer l'enjeu des forces
syndicales dans cette bataille.

Institutionnellement, nous abordons donc une période extraordinairement floue et instable. Sans doute la macronie va-t-elle essayer de former une coalition avec l'aile droite du NFP, sans doute essayeront-ils de trouver différentes formules pour gouverner sans le RN. Si tout cela échoue, nous verrons peut-être même la démission du président ou l'usage d'articles oubliés de la Ve république.

Quoi qu'il arrive, nous devrons résister aux attaques contre les lycéens, d'où qu'elles viennent. Il faudra aussi imposer nos thématiques anti-racistes et internationalistes dans l'espace public, comme nous l'avons fait en impulsant le mouvement lycéen sur Gaza. Mais puisque nous avons transgressé du cadre syndical pour soutenir, dans l'urgence, la coalition du NFP, nous devons prendre toutes nos responsabilités dans la lutte à mener.

La prochaine bataille sera la bataille démocratique. Tant la situation parlementaire actuelle que l'hypothèse d'une victoire du RN sont susceptibles de provoquer une crise institutionnelle dans la durée. La Ve République est donc, comme nous le pensions, obsolète. Il faut mener la lutte pour la VIe République, plus que jamais.

Nous savons qu'il n'existe aucune solution, aucune méthode définie pour faire reculer l'extrême droite. Nous devons voir en face l'échec de notre action antifasciste puisque les forces fascistes approchent de la victoire, et mènent avec succès la bataille culturelle. Une victoire électorale contre le RN n'est pas en mesure de véritablement endiguer sa progression à moyen terme.

Il faut, face au danger du RN, continuer le travail de diabolisation (comme lors de la campagne de second tour où la présentation de leurs candidats antisémites, racistes, preneurs d'otages ou pédophiles a contribué à faire perdre le RN). Par ailleurs, la demande de pouvoir de vivre doit trouver un débouché dans le projet collectiviste et écologique porté par la gauche de rupture.

Puisqu'il n'existe pas, donc, d'antidote miracle à la montée de l'extrême droite, il faut avec lucidité et indépendance mener la bataille syndicale. Au niveau professionnel, il est certain que l'unification des forces de transformation sociale (notamment entre la CGT, la FSU et Solidaires - forces desquelles nous sommes les plus proches idéologiquement) puisse permettre de renforcer l'action de terrain. Celle-ci, menée avec indépendance, unité et redoublant d'efforts, peut assurément contribuer à faire émerger le projet collectiviste contre le RN.

À notre humble niveau, nous devons continuer à construire avec, là aussi, des efforts accentués, une organisation structurée par la base, et opposer à l'imposture du RN sur l'éducation notre projet de lycée égalitaire et émancipateur inspiré des réalités de la vie lycéenne que nous connaissons. La jeunesse lycéenne est majoritairement acquise au programme du NFP. Il faut qu'elle se reconnaisse dans notre combat militant. Ainsi, nous devrons mener dès la rentrée une grande campagne de syndicalisation pour former ce grand syndicat lycéen que nous ne sommes pas encore.

Pour l'instant, le sentiment qui prédomine dans nos milieux est la peur. Peur du réchauffement climatique que tout le monde semble oublier. Peur de la vie future qui ne s'annonce que toujours plus mauvaise. Peur de l'extrême droite qui est un danger mortel pour beaucoup d'entre nous.

L'illusion du Macronisme est terminée. L'illusion du barrage automatique au RN aussi.

Le seul mérite de la période actuelle est donc celui-ci: c'est la fin des illusions. Après le
temps des illusions vient celui du combat. Puisque, des trois blocs, l'un, qui a toujours
reposé sur une illusion, meurt, il ne reste donc plus que la bataille entre eux et nous. Front
contre Front. Front Populaire contre Front National.

Le NFP n'est qu'un modèle transitoire. Le Front populaire est à construire de nos
mains, par la base, comme un front unique contre l'extrême droite. Un Front capable, au de-là de la législature qui s'annonce, d'arracher des conquêtes sociales et des politiques de rupture écologique
. Pour cela, on ne peut compter que sur nous-même.

Voilà la responsabilité de chacun. Voilà la ligne que nous tiendrons à chaque étape. Front politique, Front syndical, Front antiraciste, Front des soulèvements de la Terre. Marchant séparément, frappant ensemble: front unique vers la victoire du Front Populaire.

Manès Nadel, directeur de la rédaction

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